Histoire de la recherche sur les sceaux-cylindres orientaux
Pendant plus de trois mille ans, les sceaux-cylindres, sans doute originaires de Mésopotamie méridionale ou d’Iran occidental, ont été régulièrement utilisés dans toutes les régions touchées par la culture cunéiforme. Ces petits objets cylindriques, gravés en creux, étaient déroulés sur l’argile crue encore humide qui recevait ainsi leur empreinte. Cette technologie simple de marquage a fini par être utilisée dans de nombreux domaines de la vie quotidienne : administratif, juridique, personnel, social, religieux, etc.
Fondamentalement, comme leur nom l’indique, ces sceaux sont de petits cylindres le plus souvent en pierre dure, d’une hauteur moyenne de 35 mm pour 15 mm de diamètre ; ils sont gravés en intaille d’une scène ou d’un décor, augmenté parfois d’une inscription. Cette gravure était généralement réalisée “en négatif” sur le cylindre, afin qu’un “positif” de l’empreinte puisse apparaître sur l’argile fraîche et constituer une frise aussi longue que nécessaire. La plupart du temps, les sceaux étaient perforés longitudinalement ce qui permettait d’y faire passer une cordelette ou une épingle afin qu’il puisse être porté en pendentif.
À côté du sceau-cylindre, les civilisations du Proche-Orient ont aussi expérimenté l’usage du sceau-cachet. Mais ces derniers, apparus en Mésopotamie centrale et septentrionale au VIIe millénaire avant notre ère ont principalement été utilisés dans les temps proto-historiques (jusqu’au Ve millénaire), avant de disparaître peu à peu dans la plupart des régions de Mésopotamie. Ils ont cependant fait un retour en force à la fin de la période considérée (seconde moitié du Ier millénaire avant notre ère), jusqu’à remplacer alors définitivement les sceaux-cylindres.
Dès l’origine (fin du IVe millénaire avant notre ère), le sceau-cylindre a acquis une structure et une fonction narratives particulières et l’iconographie de ce que l’on appelle la glyptique est devenue un champ d’étude à part entière de l’archéologie proche-orientale. À partir de la fin du IIIe millénaire avant notre ère, leur utilisation est devenue étroitement liée à l’usage de l’écriture cunéiforme sur tablette d’argile.
Les sceaux-cylindres ont alors notamment été utilisés pour sceller et authentifier des documents légaux, comme les contrats de vente ou de prêt, les reçus, les listes de rations, les pièces officielles, etc. À certaines époques, plutôt que de dérouler le sceau directement sur la tablette, l’habitude a été prise d’enfermer la tablette dans une enveloppe d’argile sur laquelle le sceau était déroulé pour y laisser son empreinte. Celle-ci avait donc valeur de signature, garantissant la propriété d’un individu, son engagement dans une transaction ou la légalité de cette dernière.
À partir du XIXe siècle et de la naissance de l’archéologie orientale, ce corpus des sceaux-cylindres orientaux s'est mis à intéresser de plus en plus de chercheurs. Dès 1910 paraissait, sous la plume de L. Delaporte, le premier catalogue des sceaux conservés à la Bibliothèque nationale de France. Tout au long du XXe siècle, la recherche a progressé, grâce à des savants comme H. Frankfort, E. Porada, P. Amiet ou D. Collon (voir la bibliographie), mais la plupart des études restaient d’ordre stylistique et iconographique, relevant avant tout de l'histoire de l’Art. Les difficultés techniques pour représenter ces petits objets cylindriques étant réelles, les publications se sont souvent limitées à la reproduction de leur seule empreinte. L’intérêt qu’on leur portait souffrait d'autre part d’un éclatement des études entre archéologues, historiens de l’art et assyriologues.
Une nouvelle étape a été franchie à partir des années 1970 : on s’est mis à s’intéresser davantage aux pratiques de scellement et à la fonction des sceaux (Gibson & Biggs 1977). Les systèmes économiques et administratifs que les sceaux et scellements permettent d’entrevoir ont pu être appréhendés à des échelles géographiques diverses (Ferioli & Fiandra 1994, Frangipane 2007). Et les travaux pilotés par J.-C. Gardin (Digard & Gardin 1975) ont ouvert de nouvelles perspectives pour pouvoir dépasser les limitations apportées par l’habituelle description verbale des images. Tant il est vrai que le manque d'homogénéité du vocabulaire iconographique habituellement utilisé et une description des images de type narratif rendent pratiquement impossible l’exploration systématique des données.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies et l’avènement de l’ère numérique permettent d’envisager de changer assez radicalement la manière dont les sceaux sont présentés, étudiés et compris. Le premier défi à relever est de proposer des images les meilleures et les plus utilisables possibles des sceaux eux-mêmes, dans leur matérialité. C’est la première ambition du programme SESPOA.
Il s’agit ensuite d’essayer de construire, à frais nouveaux, une véritable typologie des sceaux, des motifs et des matériaux, selon des descriptions standardisées dans le sillage de ce qu’avaient envisagé et initié F. Digard et J.-C. Gardin il y a près de 50 ans, mais en s’appuyant sur les nouveaux outils numériques dont nous bénéficions désormais.
Le projet SESPOA produisant des images entièrement nouvelles des sceaux-cylindres, l’idée de l’équipe d’Oxford est désormais d’exploiter celles-ci afin de pouvoir regrouper les scènes ou illustrations similaires à l’aide de logiciels de comparaison d’images ; on envisage d’utiliser pour cela des balises d’image (tags) afin d’effectuer des recherches directement dans les fichiers d’images numériques, en plus des recherches effectuées à partir des métadonnées du catalogue. On pourra noter que d’autres programmes récemment lancés vont dans le même sens, comme le projet DigANES initié à Munich, qui vise à développer de nouveaux “concepts pour la numérisation des sceaux du Proche-Orient ancien”. Pour la description des sceaux, le projet DigANES s’appuie sur les termes définis par le Getty Art & Architecture Thesaurus. Voir aussi le projet “Near East Seals as Tools of Visual Communication through Space and Time”, qui a entrepris de numériser la collection des sceaux-cylindres du VAM de Berlin.