Histoire de la collection des sceaux de la Bibliothèque nationale de France
Les 864 sceaux-cylindres orientaux que conserve aujourd’hui le DMMA (ancien Cabinet des médailles) de la BnF et retenus par le projet SESPOA proviennent de Mésopotamie, du Levant, d’Anatolie, mais aussi de Chypre, et permettent de retracer l’évolution de la glyptique proche-orientale de la seconde moitié du IVe jusqu'à la fin du Ier millénaire av. J.-C. Cette collection s’est progressivement constituée entre 1752 et 2007 sous forme de donations et de legs (près des ⅔ des objets), mais aussi d’achats.
C’est sous le règne de Louis XV que le Cabinet des Médailles fit sa première acquisition de sceaux-cylindres : l’abbé Barthélemy (1716-1795) reçut à partir de 1752 la donation du comte de Caylus comprenant notamment 12 sceaux-cylindres. Aristocrate et homme politique, amateur d’archéologie et de numismatique, Caylus constitua sa collection comme une vitrine scientifique contribuant à l’étude des civilisations antiques.
La seconde moitié du XIXe siècle, avec l’émergence de l’orientalisme, a marqué une grande phase d’acquisition de sceaux-cylindres, notamment grâce à plusieurs achats en lien avec l’arrivée en nombre d’objets archéologiques issus des fouilles entreprises au Proche-Orient. Mais ensuite, la réglementation ottomane, puis celle du mandat français sur la Syrie et le Liban changea progressivement la donne, restreignant l’exportation d’antiquités à l’étranger, avant de finalement l’interdire.
Le Cabinet acheta un grand nombre de sceaux dans le second tiers du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe. En 1844, Désiré Raoul-Rochette (1789-1854) et Charles Lenormant (1802-1859) achetèrent pour 3885 francs un lot prestigieux : celui de l’ancienne collection de Félix Lajard, comprenant 284 sceaux-cylindres (ce fut l’achat quantitativement le plus important, toutes périodes confondues). En décembre 1862, une fameuse donation du duc de Luynes apporta 136 sceaux supplémentaires.
Par la suite, les acquisitions de sceaux diminuèrent nettement, ce qui s’explique notamment, outre le durcissement de la réglementation évoqué ci-dessus, par la création du Département des Antiquités orientales du Louvre en 1881. Les musées européens et les collectionneurs privés (dont les diplomates et fonctionnaires français en poste dans l’Empire ottoman) ne cessèrent pourtant pas d’user de leur influence et de leurs réseaux pour continuer à acquérir des objets. C’est dans ce contexte que le Cabinet acquit 44 sceaux durant le mandat de conservateur d’E. Babelon (1892-1924). Les achats restaient prédominants comparés aux donations, mais pour la première fois, le cabinet enregistra des legs (O. Pauvert de la Chapelle en 1899, Ch.-L. M. De l’Écluse en 1906, J.-Ch. Séguin en 1909).
On trouvera ci-dessous quelques portraits de certains des personnages ici mentionnés et d'autres qui ont contribué à façonner la collection.
Plusieurs dizaines d’années passèrent ensuite sans aucune nouvelle acquisition. Seul, Jean Babelon (1889-1978) agrémenta la collection de 119 nouveaux sceaux. Il acheta quatre sceaux entre 1937 et 1942 par l’intermédiaire de l’antiquaire Géjou et reçut une importante donation du comte Chandon de Briailles. Enfin, entre 1929 et 1980, le Cabinet reçut plusieurs collections remarquables par les legs de D. Schlumberger en 1929 (50 sceaux), Chandon de Briailles en 1953 (115 sceaux) et deux donations de H. Seyrig (en 1972 et 1980, pour un total de 180 sceaux). La dernière acquisition en date est la donation de trois sceaux par Pierre Amandry, reçue par la BnF en 2007.
D'une façon générale, la politique d’acquisition du Cabinet des Médailles s’est longtemps fondée sur l’existence d’un important réseau de personnalités appartenant au monde académique et savant et sur les relations établies entre les membres de son personnel, ses habitués et le marché des antiquités. La cinquantaine de personnes qui ont donné ou légué des sceaux au Cabinet des Médailles, aux statuts et fonctions divers, se côtoyaient dans les mêmes cercles d’érudits comme l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres (ainsi l’orientaliste Jules Mohl [1800-1876], les conservateurs Raoul-Rochette et Adrien Prévost de Longpérier [1816-1882], l’archéologue Paul Perdrizet [1870-1938] et bien d’autres encore). Vivant à Paris, la plupart des vendeurs et donateurs du Département des Monnaies, médailles et antiques étaient intéressés à la fois par l’archéologie classique, la numismatique ou la sigillographie de l’Orient ancien et latin.
La BnF a également acquis des sceaux par achat auprès d’antiquaires bien connus dans certains musées français et européens, comme Elias Géjou (1868-1942) qui vendit ainsi huit lots de sceaux entre 1898 et 1942.
Il faut mentionner aussi les sceaux ayant appartenu à certains hauts-fonctionnaires et diplomates ayant exercé en Syrie, en Irak, en Iran ou en Égypte, comme Joseph Rousseau, consul à Bassora en 1805, puis consul général à Alep, le diplomate Félix Lajard qui, suite à une mission en Perse (1807-1809), entreprit des recherches sur les rapports entre les religions orientales et grecques, ou Henri Seyrig, directeur des Antiquités en Syrie et au Liban (1929-1941), puis fondateur et directeur de l’Institut Français d’Archéologie de Beyrouth (1946-1967).
On mentionnera tout particulièrement les deux derniers lots importants de sceaux-cylindres acquis par la BnF dans la seconde moitié du XXe siècle et que l'on a déjà mentionnés, qui sont révélateurs de la façon dont opéraient les collectionneurs d’avant et d'immédiat après-guerre. Il s’agit des collections personnelles du comte Chandon de Briailles et de son ami Henri Seyrig. Ces collections inédites sont présentées pour la toute première fois sur le présent site SESPOA et sur le site du CDLI.
Le Cabinet des Médailles possède également des moulages de sceaux-cylindres orientaux acquis au XIXe siècle. Certains sont conservés au centre technique de conservation de la BnF à Bussy-Saint-Georges (voir par exemple ce lien). Il s’agit d’un lot d’empreintes par ailleurs difficiles à relier avec des sceaux “physiques” connus ou conservés à la BnF.
En ce qui concerne les publications, le premier ouvrage référençant les sceaux-cylindres de la BnF fut publié en 1858 sous la direction d’Anatole Chabouillet (1814-1899). Pour cet opus, Charles Lenormant (1802-1859), conservateur du Cabinet des Médailles, fut chargé de la description des sceaux-cylindres et des cônes orientaux. Un inventaire général des pierres gravées fut ensuite établi en 1860 : il reprend les notices publiées dans le catalogue de Chabouillet. Tout comme pour les registres d’acquisitions, des correspondances ont été établies entre l’inventaire de Chabouillet et le catalogue de L. Delaporte (voir ci-après).
Ernest Babelon (1854-1924) poursuivit l’importante politique de catalogage et de mise en valeur des collections en publiant notamment deux ouvrages destinés au grand public. Mais le premier véritable catalogue des sceaux proche-orientaux du Cabinet des Médailles fut publié par Louis Delaporte en 1910, à l’initiative d’Ernest Babelon et sous les auspices de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce Catalogue des cylindres orientaux et des cachets assyro-babyloniens, perses et syro-cappadociens de la Bibliothèque nationale est consacré à quelque 650 pièces, dont 519 sceaux-cylindres. Par ailleurs, divers catalogues regroupant les sceaux ouest sémitiques, sassanides ou byzantins ont été publiés entre la fin des années 1970 et le début des années 1990.
Certaines collections ont fait l’objet d’études avant ou après leur acquisition par le Cabinet des Médailles. Parmi les publications, on peut citer celles du comte de Caylus (1692-1765), premier donateur de sceaux proche-orientaux, qui décrit ses 12 sceaux-cylindres dans son Recueil d’Antiquités. Felix Lajard (1783-1858) publia sa collection de sceaux dans le cadre de ses recherches sur le culte de Mithra en 1837. Ernest Babelon publia la collection de Pauvert de la Chapelle à la demande de ce dernier en 1887.
Henri Seyrig a décrit les sceaux-cylindres de sa collection dans trois carnets manuscrits offerts à la BnF. Il publia certains d’entre eux dans la revue Syria, tandis que certains autres étaient étudiés par divers spécialistes à sa demande. Ainsi, ses sceaux provenant de Mischrifé (Syrie) furent publiés par Claude Schaeffer. Plusieurs sceaux-cylindres du legs de Gustave Schlumberger ont été présentés dans la Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale et dans un recueil de Mélanges qui lui ont été offerts. On peut mentionner également un intéressant catalogue d'une exposition consacrée aux sceaux du Louvre et de la BnF, publié par Pierre Amiet en 1973. Plus récemment, Pierre Bordreuil s'est intéressé aux sceaux porteurs d'inscriptions ouest-sémitiques et Adelheid Otto a étudié quelques sceaux de style syrien et de Haute-Mésopotamie datant du IIe millénaire av. J.-C.
En définitive, la BnF a ainsi pu constituer en deux siècles environ une collection de sceaux-cylindres cohérente et globalement représentative. La grande phase d’acquisition se situe entre le second tiers du XIXe et le premier quart du XXe siècle. Cette collection offre un bon témoignage des goûts et des pratiques qui prévalaient alors. Comme on l’a vu, ce qui la caractérise avant tout est qu’elle est constituée de pièces acquises sur le marché des antiquités, qui ont pu retenir l’attention pour des raisons très diverses, et qui ont beaucoup circulé. Aucun objet ne provient directement de chantiers de fouilles réguliers, et cette collection parisienne se distingue en cela d’autres collections de sceaux constituées à partir des objets récoltés en fouilles et archéologiquement référencés.
Nota bene : Dans la liste des “sous-collections” de la BnF, qui témoigne de la longue et complexe histoire qui vient d’être évoquée, on constate qu’il manque un certain nombre de noms de collectionneurs que nous avons mentionnés. La raison en est que la correspondance entre les registres d’acquisition et les catalogues, notamment celui de L. Delaporte en 1910, n’a jamais été enregistrée en leur temps et que la mémoire en est aujourd’hui perdue. Et comme les descriptions dans les registres de la BnF sont parfois lacunaires, ne mentionnant souvent pour tel ou tel objet que “sceau-cylindre” ou une très brève description, sans aucun nom du donateur ou du légataire, cela rend impossible tout travail pour retrouver l’origine première de bon nombre des pièces de la collection.
Un historique complet de l'histoire de cette collection se trouve aussi dans J. Dahl, B. Lafont, N. Ouraghi, “Nouvelles recherches sur la collection des sceaux-cylindres orientaux de la Bibliothèque nationale de France”, in Syria 96, 2019.
Système des numéros d'inventaire attribués aux sceaux-cylindres de la BnF
- DMMA C 001 à C 108 : Sceaux de l’ancienne collection Chandon de Briailles
- DMMA C A à C H : Sceaux de l’ancienne collection Chandon de Briailles
- DMMA D 001 à D 519 : Sceaux publiés dans le Catalogue de L. Delaporte (1910)
- DMMA H 2620 et H 2666 : Sceaux de l’ancienne collection Séguin
- DMMA N 4414 : Sceau de l’ancienne collection Geliadakis
- DMMA S 216 à S 266 : Sceaux de l’ancienne collection Schlumberger
- DMMA Y 6306 à Y 6308 : Sceaux de l’ancienne collection Guelette
- DMMA Y 6214 et Y 6309 : Sceaux d’origine indéterminée
- DMMA 1972.1343.7 à 8 : Sceaux de l’ancienne collection Seyrig
- DMMA 1980.292.1 à 187 : Sceaux de l’ancienne collection Seyrig
- DMMA 2007.159 à 161 : Sceaux de l'ancienne collection Amandry