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L'usage des sceaux

Dans sa fonction première, le sceau-cylindre était destiné à être déroulé sur de l’argile fraîche pour y laisser une empreinte, afin d’authentifier ou de valider une transaction, une opération comptable, en identifier le responsable, ou encore pour garantir l’accès à certains biens ou bâtiments.

C’est à la fin du IVe millénaire avant notre ère, avec la “révolution urbaine” et la naissance de l’écriture en Mésopotamie du sud, que les sceaux ont pris une forme de cylindre et ont été utilisés pour pouvoir répondre aux nouveaux besoins administratifs et comptables qui sont alors apparus. Ils ont gardé cette forme cylindrique jusqu’aux époques perse et hellénistique.

Les sceaux ont d’abord servi à sceller des bulles d’argile, des jarres, des fermetures de porte, etc., puis les premières tablettes lorsqu’est apparue l’écriture. Cependant, à la fin de la période d’Uruk (vers 3000 av. J.-C.), ils ont disparu de ces tablettes, ne réapparaissant dans ce contexte qu’à partir de l’époque paléo-akkadienne (vers 2350 av. J.-C.). Dès lors, les sceaux se sont mis à jouer pleinement le rôle aujourd’hui dévolu à la signature apposée en bas d’un document écrit.

L'usage administratif du sceau-cylindre s’est encore renforcé avec l’habitude qui a été prise, à partir de l’époque d’Ur III (vers 2100 av. J.-C.), d’enfermer certaines catégories de tablettes dans une enveloppe d’argile, pour en figer et en protéger le contenu. C’est cette enveloppe qui recevait alors l’empreinte du sceau.

Le fait qu’il existe aujourd’hui, dans les musées et collections à travers le monde, tant de sceaux-cylindres d'un côté et tant d’empreintes sur divers objets en argile de l'autre, sans qu’il soit généralement possible de faire correspondre les deux, ne manque pas d’interroger les chercheurs. Diverses explications peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène (voir ci-dessous).

Fragments de scellement de jarre portant une empreinte de sceau-cylindre. Suse, vers 3000 av. J.-C. (Musée du Louvre Sb 2125).


Il faut mentionner enfin d'autres usages qui ont été faits des sceaux-cylindres : à cause du caractère précieux des matériaux ayant servi à leur fabrication et du symbolisme des scènes, images ou textes qui y étaient gravés, ils ont manifestement fini par jouer un rôle d’objets de prestige, mais aussi de talismans.

L'invention de la signature individuelle. Tablettes et enveloppes scellées

Sceau P429955, époque d'Ur III.
Dessin de D. Owen. Inscription :
“Abakala, scribe,
fils de Lu-Ningirsu”.

À l’origine, le sceau a surtout été la marque apposée par une administration ou une institution : c’est en son nom et en leur qualité de dépositaires d’une certaine fonction que les personnes détentrices d’un sceau le déroulaient sur l’argile, et non pas en tant que personnes privées.

À partir de la seconde moitié du IIImillénaire, le sceau est peu à peu devenu la marque d’une personne physique ou morale ; parfois, son propriétaire a fini par y faire inscrire son nom, un lien familial, une fonction, un métier ou, plus tard, une marque de dévotion à une divinité particulière.

Ce fut alors la véritable naissance de la signature individuelle, utilisée pour “signer” lettres, contrats, ou tablettes dont le contenu était ainsi validé.

Devenu objet personnel, le sceau-cylindre était porté épinglé ou en pendentif par son propriétaire, ce qui explique son percement longitudinal. C’était un objet de valeur, du fait notamment des pierres rares utilisées pour le confectionner. Certains sceaux étaient pourvus d’une bélière (anneau pour le maintenir ou le suspendre, comme P502741) ou d’une monture en métal précieux (voir plus bas).

À partir de l’époque d’Ur III (fin du IIIe millénaire), l’empreinte de sceau représente une garantie dans tous les sens du terme : non seulement économique, mais aussi juridique ou personnelle. Des sceaux sont attribués aux nombreux fonctionnaires de l’administration royale agissant au nom du roi : sur l'inscription qu'ils y font graver, ils s'en disent les “serviteurs”  (sceaux dits arad-zu). Par ailleurs, un peu comme le tampon-encreur de nos jours, l’usage d’un sceau au nom d’un chef de service permettait la validation de nombreuses pièces administratives par divers membres de son bureau. Certains sceaux luxueux pouvaient être donnés en cadeau par le roi, sans doute en guise de récompense.

À la même époque, on s’est également mis à entourer certaines tablettes d'une enveloppe d'argile sur laquelle on déroulait le sceau pour qu'il y laisse son empreinte. La tablette devenait ainsi inviolable tant que l’enveloppe n’était pas brisée. Sur cette enveloppe, on réécrivait généralement un résumé, parfois même la totalité du contenu de la tablette (voir ci-contre P102360). Cette pratique de l’enveloppe enfermant la tablette est tombée en désuétude au Ier millénaire.


Au cours de la première moitié du IImillénaire (époque paléo-babylonienne ou amorrite), les contrats – eux aussi souvent mis sous enveloppe – ont fini par recevoir les sceaux individuels de nombreux témoins sollicités pour authentifier, valider et “signer” le document. Certains de ces sceaux étaient parfois confectionnés sur place pour cette unique occasion (sceaux dits burgul). On trouvera ci-dessous l’exemple d’une telle tablette de contrat, datant du XVIIsiècle av. J.-C. et concernant la vente d'un terrain à bâtir. Retrouvée à Sippar, elle est aujourd'hui conservée à Philadelphie (P264844). Elle a reçu pas moins de onze empreintes de sceau, apposées par les différents témoins ayant validé le contrat.

L’examen de ces pratiques de scellement sur tablettes ne doit cependant pas faire oublier l’utilisation, qui est restée constante à toutes les époques envisagées ici, du sceau apposé sur les contenants, les bulles d'argile ou même les bâtiments.

À ces époques également, les sceaux purement institutionnels ont continué d’exister à côté des sceaux personnels. Parmi les sceaux “personnels”, ceux ayant appartenu à des souverains retiennent bien sûr particulièrement l’attention, tel celui de Gudéa, prince de la cité-État sumérienne de Lagash au XXIIIe siècle avant J.-C. (ci-dessous à gauche). Parmi les sceaux “institutionnels”, on peut noter l’existence de sceaux appartenant à des divinités, tel celui du dieu Aššur.

Ainsi, à l’époque paléo-assyrienne (XIXe siècle av. J.-C.), des scellements de sacs de marchandises trouvés à Acem Höyük en Anatolie portent l’empreinte du sceau de ce dieu (ci-dessous à droite).

Plus d’un millénaire plus tard on retrouve trois sceaux du même dieu Aššur sur le Traité de succession d’Assarhaddon, document découvert à Kalhu et portant les serments de fidélité prêtés par les Assyriens en 672 av. J.-C. pour garantir l’accès au trône du roi Aššurbanipal (Wiseman 1958: 14-22). L'ancienneté de 2 de ces sceaux (d’époque paléo- et médio-assyrienne : ils ont donc traversé les siècles) est remarquable ; leur usage visait à renforcer la portée politique du traité ainsi replacé dans une perspective de très longue durée.

Sceau de Gudéa de Lagash. Gudéa, tête nue et main levée en signe de prière, est présenté par une divinité au dieu Ningirsu siégeant sur son trône. Derrière lui : une déesse protectrice et un dragon ailé. Inscription : “Gudéa, prince de Lagash”. Dessin de C. Sutter.

Sceau du dieu Aššur. Une divinité protectrice est debout en prière devant le dieu qui est symbolisé par une montagne d’où émerge une tête de bovidé. Inscription : “(Ceci relève) du dieu Aššur et de la taxe-nishatum du temple de la Ville”. Dessin de K. R. Veenhof.

Les sceaux comme objets de prestige ou comme talismans

En plus de leur utilisation “pratique”, les sceaux étaient aussi des objets de valeur. La conservation et la réutilisation de sceaux anciens étaient courantes et ces objets étaient d’ailleurs souvent transmis de génération en génération au sein des familles.

La préférence pour les matériaux colorés, exotiques ou précieux indique clairement qu’il y avait des préoccupations esthétiques et une recherche de prestige, non seulement dans l'empreinte imagée qu’un sceau laissait derrière lui, mais aussi dans son aspect épinglé à une poitrine, porté autour du cou ou affiché comme insigne d’une fonction.

C’est ce que montrent également les ornements qui restent adjoints à certains sceaux et qui n’avaient que peu d'effet sur l’impression, comme les capuchons ornementaux en métal précieux (voir ci-contre).

Ces objets très convoités circulaient : on les retrouve parfois réutilisés pour en faire des bijoux, jusqu'en en Anatolie, en Égypte, ou plus loin encore (Collon 1987: 135).

Les sceaux ont probablement aussi joué un rôle talismanique. L’apparition de courtes prières inscrites sur les sceaux-cylindres à partir de l’époque kassite (milieu du IIe millénaire) montre bien le potentiel de bienfaisance dont ces objets bénéficiaient explicitement. Une prière typique louait un dieu et demandait brièvement son intercession en faveur du propriétaire. Ce genre d’inscription permettait à un individu de porter sur lui en permanence une prière à son dieu, le sceau jouant ainsi le rôle d'une amulette. L'idée qu'un sceau ait pu souvent être utilisé comme bijou ou amulette se trouve d'ailleurs renforcée par le fait que beaucoup de ces objets ont été retrouvés dans des tombes.

Sceau-cylindre en cornaline d'époque néo-babylonienne, orné d'une monture en or figurant un bouquetin stylisé. L'empreinte révèle une scène de dévotion à une divinité trônant devant une table d'offrandes (Musée du Louvre, AO 2063).

Pourquoi si peu de correspondances entre cylindres et empreintes ?
Le recyclage des sceaux

On est parvenu à ne retrouver qu’une poignée de correspondances entre les deux ensembles de données que sont les matrices (sceaux “physiques”) d’une part et les empreintes laissées sur tant d’objets en argile (notamment les tablettes) d'autre part. Cela ne manque pas d’interroger les chercheurs (Hallo 2001). Quelles peuvent donc être les causes de ce manque apparent de chevauchement entre matrices et empreintes que l'on devrait pourtant a priori pouvoir faire se recouper de temps à autre ?

Il existe sans doute plus de 50.000 matrices physiques et probablement des centaines de milliers d’empreintes de sceaux dans des collections et musées du Proche-Orient, d’Europe et des États-Unis. Avec une telle masse documentaire, par ailleurs très dispersée, sont-ce seulement des raisons de “chance” statistique qui ont empêché de faire davantage de rapprochements ?





Image numérique inversée de la surface du sceau-cylindre Delaporte 307 (P476275) conservé à la BnF (Paris), et image d'empreinte sur l'argile de la tablette cunéiforme LB 2532 conservée à Leyde (voir Hallo 2001).

D’autres explications sont sans doute possibles :

  • La difficulté pourrait venir de l'état général de la publication des sceaux et de leurs empreintes. Les critères de classification que l’on trouve habituellement dans les catalogues ne facilitent ni la recherche ni les rapprochements. Il est d'ailleurs notoirement difficile d’appairer des sceaux sans aucune inscription avec d’éventuelles empreintes.
  • Une autre explication possible est que de nombreux sceaux-cylindres ont traversé les siècles et ont été transmis d'une génération à l'autre en étant modifiés et regravés, parfois à plusieurs reprises, ce recyclage effaçant ainsi la matrice originelle dont l’empreinte existe pourtant sur des centaines ou des milliers d’objets.
  • On peut envisager aussi que les sceaux à usage administratif, après avoir laissé tant d'empreintes, aient été déposés dans des lieux n’ayant pas fait l’objet de fouilles ou aient été sculptés dans des matériaux moins durables, à l’inverse des sceaux utilisés comme bijoux ou amulettes, retrouvés en grand nombre notamment dans les tombes.

Les seules correspondances actuellement connues entre matrices et empreintes sont à notre connaissance les suivantes, plusieurs d'entre elles demeurant d'ailleurs incertaines (voir aussi Hallo 2001, p. 239-254) :

(Nota bene : pour la signification des références en P et S, voir cette page)