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Taille, gravure, fabrication des sceaux

Les sources d'approvisionnement en divers minéraux recherchés et utilisés pour fabriquer les sceaux ne sont pas faciles à identifier. On se fonde donc surtout sur ce que l'on sait des sources actuelles de pierres précieuses ou semi-précieuses en Asie occidentale et en Asie centrale, ainsi que sur diverses recherches et études de nature ethno-archéologique, pour comprendre, en amont du processus, comment les pierres étaient extraites, le plus souvent bien loin de Mésopotamie, avant de voyager, d'être réceptionnées, puis d'être préparées, taillées, polies, percées et gravées par les artisans spécialisés chargés de la confection de ces objets. Par ailleurs, des recherches entreprises ces dernières années (voir notamment les travaux et publications de M. Sax au British Museum) ont permis d'obtenir d'importantes avancées pour une meilleure compréhension des diverses étapes de la chaîne opératoire et des méthodes et techniques mises en œuvre pour la fabrication et la gravure des sceaux.

 

Artisans et ateliers

En Mésopotamie, les lapicides qui fabriquaient et gravaient les sceaux (sumérien : burgul, akkadien : purkullu) étaient sans doute des artisans polyvalents spécialisés dans la gravure sur support en pierre. Ils apparaissent ici ou là dans les textes cunéiformes depuis l’époque paléo-akkadienne (voir le Chicago Assyrian Dictionary sous purkullu). Peu de données archéologiques sont disponibles concernant ces individus. Une tombe de lapicide a peut-être été mise au jour dans le Cimetière Royal d’Ur (Woolley 1934: 206), l’individu ayant été enterré avec des perles, des éclats de silex, des fragments de stéatite, de la cornaline et du lapis-lazuli.

Le sceau inscrit d’un lapicide ayant vécu à Larsa vers 1900 av. J.-C., sous le règne d’Abisarê, nous est parvenu, ainsi libellé : “Puzur-Ninkarrak, lapicide, fils de Kanati, a voué (ce cylindre) au dieu Nergal, son maître, pour la vie d’Abisarê et pour sa propre vie” (P448352).

L’identification archéologique des ateliers de lapicide demeure difficile. À Abu Ṣalabikh (Irak du sud), des fragments de matériaux bruts, des éclats de silex, un foret en silex, du lapis-lazuli et des coquillages sembleraient indiquer la présence d’un tel atelier de graveur. Des déchets de taille de perles et de sceaux ainsi que des outils ont été trouvés à Tepe Hissar, Shahr-i Sokhta en Iran, à Larsa en Mésopotamie et à Mundigak en Afghanistan. Des aires de travail de lapis-lazuli, de cornaline et de turquoise datant du IIImillénaire av. notre ère ont sans doute été localisées à Sarazm, à Suse, à Tall-i Malyan, à Tepe Hissar et à Shahr-i Sokhta. Enfin, des “caches d’outils” servant à la fabrication de perles auraient été découverts à Babylone et à Nippur. Peu d’outils de lapicides ont cependant été découverts. Dans les niveaux akkadiens de Tell Asmar (Irak), des outils en alliage cuivreux, dont des forets et des ciseaux, ont été exhumés à côté de sceaux non gravés et de perles.

Outils et techniques

Les outils utilisés dépendaient de la dureté du minéral et du travail à exécuter. Multifonctionnels, ils étaient initialement en pierre, en bois et en silex. Les morceaux de pierres étaient sciés avec des microlames de silex formant des sillons linéaires peu profonds. Les fragments obtenus étaient ensuite polis par abrasion.

Dès l’époque de Jemdet Nasr (ca. 3300-2900 av. J.-C.), les pierres furent taillées avec des ciseaux, puis gravées avec des gouges dotées d’une pointe en “V”. Les extrémités du sceau étaient perforées à l’aide de forets emmanchés à pointe fine en pierre, alimentés avec un abrasif pour le perçage. Elles le furent ensuite à l’aide de perçoirs à archet : maintenu à son extrémité, le perçoir, doté d’un foret à tige métallique, est actionné à l’aide d’un archet pour un contrôle plus précis et une meilleure rapidité d’exécution. Ce type d’outil est aujourd’hui encore en usage en Inde. Les outils métalliques en bronze furent introduits dès le IIIe millénaire. Les pierres tendres étaient taillées et gravées avec des outils manuels en silex. Les motifs circulaires étaient réalisés avec des forets tubulaires.

À partir de la fin de l’époque paléo-babylonienne (IIe millénaire av.), le polissage fut réalisé au moyen de polissoirs à archet. Cet outil, similaire au foret à archet, était constitué d’une meule circulaire en métal, fixée à une tige métallique et actionnée à l’aide d’un archet. La meule, au diamètre variable, était parfois chargée de poudre de quartz, d’obsidienne ou d’émeri pour une meilleure abrasion des pierres dures comme l’hématite. Des traces d’émeri ont sans doute été décelées sur des sceaux d’Ur datant de la seconde moitié du IIe millénaire.

Si les pointes à mèche métallique furent peu à peu privilégiées, la gravure et la taille pouvaient se faire aussi par micro-frottement avec des pointes en pierre. Le fer supplanta progressivement le bronze vers 1000 av. J.-C.

Certains sceaux-cylindres ne présentent pas de perforation longitudinale. C’est notamment le cas des sceaux provenant de l’Urartu (IXe siècle av.) sur lesquels, à la place, on trouve un motif gravé sur l’une des extrémités : ces sceaux faisaient donc office de sceau-cylindre et de sceau-cachet.

Concernant la gravure, il est possible que les contours des motifs complexes aient été au préalable “dessinés” directement sur la pierre à l’aide de pointes. Les lignes horizontales gravées aux extrémités des motifs servaient de cadre au lapicide. L’inscription était gravée avant ou après le motif décoratif. La gravure d’une inscription était une tâche particulièrement délicate demandant des connaissances particulières, surtout lorsqu'elle devait être gravée “en négatif”. La complexité de cette étape amène à penser que l’inscription était gravée par des scribes lapicides. Des erreurs de copie sont parfois décelées par les épigraphistes.

Certains sceaux sont pourvus de bélières métalliques, élaborées selon la technique de la cire perdue. À l’époque akkadienne, des montures en métal précieux (dont l’or) ornent les extrémités de sceaux. L’aspect matériel de l’objet était parfois modifié par l’ajout de colorants ou de pigments sur les sceaux translucides donnant ainsi un aspect veiné. À Ur par exemple, deux sceaux en cristal de roche de l’époque akkadienne ont ainsi les perforations peintes de bandes de chevrons rouges.

Recyclage des sceaux

Avec la raréfaction des matières premières et le déclin des cités iraniennes et d’Asie centrale à partir de la fin du IIIe millénaire av. notre ère, les perles et sceaux en pierres précieuses usagés ou cassés furent souvent “recyclés” en étant retaillés. Transmis de génération en génération, ils ont parfois été modifiés par leurs nouveaux détenteurs, soit au niveau des scènes figurées et décorations, soit au niveau de l’inscription, notamment pour qu'y figure désormais leur propre nom. Dans ce contexte, les extrémités étaient refaites et polies, les motifs étaient effacés par abrasion pour en graver de nouveau. D’anciens traits de gravure sont ainsi parfois perceptibles sur les sceaux lorsqu’ils n’ont pas été effacés en profondeur. D'autres fois, seule une partie du motif était modifiée, ou alors une nouvelle inscription ou un nouvel élément iconographique était inséré dans la composition, de façon plus ou moins subtile.

C’est ainsi qu’un assez grand nombre de sceaux chronologiquement classés comme relevant de l’époque paléo-babylonienne (ou amorrite, première moitié du IIe millénaire av. notre ère) ont été en réalité mis pour la première fois en circulation dès l’époque d’Ur III (XXIe siècle av.) ou parfois même avant (époque akkadienne). Certains sceaux existent également, qui ont été complètement arasés et regravés “à neuf”.

On a ainsi l’exemple d’un sceau datant originellement de l’époque sumérienne archaïque (DA IIIb, XXIVe siècle av.), probablement enterré dans la tombe de son propriétaire initial et qui a été retrouvé, récupéré et utilisé quelque deux mille ans plus tard par un individu qui, à l’époque perse, y a fait graver une nouvelle inscription (Collon 1987: 122).